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MOOC @ddict? - webinaire 3 - Soi connecté

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Cette semaine, nous recevons Jean-Luc Vénisse et moi -même, deux invités: Béa Arruabarrena, je l'ai dit sans problème...! Et puis... enfin, presque sans problème! Et puis, Alain Giffard. Alors, avant d'aborder le thème de la semaine, quelques petites informations générales, comme toutes les semaines, sur le fonctionnement du MOOC. On a discuté la semaine dernière déjà, que les forums étaient assez difficiles à manipuler, appréhender et donc, deux nouveaux fonctionnements cette semaine. Vous pourrez voir quand haut de la page, nous avons créé quelque chose qui s'appelle "Plan des discussions" qui vous donne une page d'orientation de l'ensemble des forums, qui permet d'accéder à chacun des forums et de naviguer assez facilement vers lui. Et puis qui permet à chacun d'aller cliquer... enfin, il y a les noms de tous les gens qui ont contribué au forum, qui permet de cliquer sur son nom et d'aller voir l'ensemble de ses messages. ça, c'est la première chose. Et puis, deuxième chose, c'est qu'on a changé un peu le fonctionnement de réponse dans les forums, bien qu'on vous incite de plus en plus, à ne pas cliquer tout suite sur "nouveau message" quand vous voulez répondre à une question, mais à ouvrir le forum et à le déplier et puis, à vous insérer dans un fil de discussion, ce qui facilite la lecture pour tout le monde... comme ça, il n' y a pas un message d'une personne et ça facilite la lecture. Dernière chose, le bilan de la semaine 2 a un peu traîné. Cette synthèse devrait pourtant être en ligne dans les minutes qui viennent si tu vas bien! Alors, cette semaine 3 a pour objectif essentiel de réfléchir à ce que pourrait être les addictions et les pratiques excessives ou les pratiques à risques l'avenir et autour de finalement, d'une technologisation de plus en plus poussée de nos corps, de nos activités, et de voir donc, quelles nouvelles pratiques pourraient, si elles sont nouvelles, pourraient arriver dans les années à venir, dans cinq ans, dans 10 ans... plus loin, ça devient peut-être difficile! Pour cela, le principe de la semaine, c'est justement d'essayer de réfléchir à la manière dont chacun a vécu l'évolution de son rapport au temps, de son rapport à son attention, dans son rapport au corps et à son identité sociale avant le numérique ou après le numérique, ou alors, avant une technologie numérique particulière par exemple, un téléphone portable ou Internet à la maison, ou un smartphone ou un bracelet connecté qui va mesurer le nombre de pas. Et puis, derrière, d'utiliser cette réflexion sur son vécu pour essayer de prolonger finalement cette réflexion sur ce qui pourrait nous arriver dans le futur avec ces nouvelles technologies. Donc on est véritablement dans la recherche action au sens où les réponses à ces questions, nous ne les avons pas et nous voulons vraiment les construire avec vous. Donc les discussions ont commencé sur la plate-forme FUN et je passe la parole à Jean-Luc pour nous en parler un peu.
Merci Yannick! Bonjour à tous! Oui, donc, il est vrai que les améliorations dont vient de parler Yannick par rapport à à ce forum, ont permis effectivement des échanges un peu plus nourris et dans des boucles de questions-réponses, même si je pense qu'on peut encore certainement aller plus loin. Donc vous avez été nombreux à contribuer, toujours au nuage de mots et, ce qu'on peut faire ressortir à propos de cette semaine, c'est que même si la question de la dépendance reste présente, elle est largement débordée par tout ce qui est du côté du relationnel donc relation, réseau relationnel, et puis aussi la manière dont on va, dans ses relations, exister, se présenter, la notion d'avatar qui ressort aussi, un mot qui ressort beaucoup, presque en tête dans ce nuage de mots! Donc on voit bien qu'après avoir été dans la relation que nous entretenons nous-mêmes avec ces outils, là on passe à une autre dimension qui est celle de la relation aux autres et là il est clair que c'est un enjeu aussi sur lequel on ne peut pas bien sûr faire l'impasse donc on y reviendra tout à l'heure. Alors, sinon pour les contributions plus précises de ces exercices assez complexes qu'on vous demandait, là, sur les phases 1 et 2 notamment. Il y a pas un grand nombre de contributeurs mais ce qu'on peut constater, c'est que les contributeurs ont vraiment essayé de répondre aux questions, de se prêter à l'exercice, encore une fois, pas évident! Alors, qu'est ce qu'on peut retenir de ces contributions: pour ce qui concerne la prise en compte du corps, (est-ce que je vais dans le bon ordre?) Oui! La prise en compte du corps, de ses besoins, de ses ressentis, vous avez eu tendance à dire que c'était bien préservé. Sauf, peut être, en ce qui concerne les besoins de sommeil. ça, plusieurs ont souligné que même s'ils avaient l'impression de bien contrôler la conduite et la relation à ces outils, le soir, il pouvait y avoir quelques débordements qui pourraient s'avérer problématiques. Mais d'autres ont trouvé la question du corps saugrenue, on y reviendra je crois, tout à l'heure. Dans le rapport au temps aussi, donc vous avez eu tendance à dire qu'il n'était pas très affecté par les connections numériques, même si le temps, pour beaucoup, était très rempli. Vous l'avez noté précisément. Question identité, rapports aux autres, notamment sur les réseaux sociaux, c'est toute la question de la façon d'avancer plus ou moins masquée, la place de l'avatar, mais certains ont parlé aussi de personnalités virtuelles ou de personnalités multiples... on aura certainement à revenir sur ces notions tout à l'heure. Apparemment, c'est plus du côté du contentement que de la souffrance que ces questions d'images présentées aux autres est connotée. Je finis parce qui va être notre point de départ tout de suite après, ce sont les capacités d'attention. Là, les témoignages vraiment, reflètent un impact beaucoup plus significatif de l'avènement du numérique, puisque vous êtes assez nombreux à dire... alors, je vais le dire de façon un peu schématique, que votre attention vous paraît moins soutenue dans la durée mais plus aiguë en termes de concentration à court terme. C'est quelque chose qui est revenu dans pas mal de contributions, et je crois qu'on aura bien sûr à le commenter tout à l'heure. Quant à la phase 3, donc celle qui vraiment traite spécifiquement du soi quantifié, elle n'a pas fait beaucoup d'écho pour l'instant, vous n'avez pas... peut-être que ça va venir parce qu'il faut un peu temps, il y avait beaucoup de travail cette semaine, mais vous n'avez pas pour l'instant, vraiment réagi à cette question des enjeux de la quantification de soi. On avait fait figurer une petite intro qui est dans le cahier innovation de la CNIL qui est très bien fait sur le corps connecté où il y avait une journée type, à échéance d'une dizaine d'années, qui pouvait peut-être faire réagir. Pour l'instant, ça n'a pas été le cas! En revanche, sur le côté transhumanisme qui peut être une philosophie un petit peu en arrière- plan de tout ça, plusieurs ont proposé et c'est très intéressant, des illustrations, bandes dessinées, jeux vidéo, pour mettre à l'épreuve ces enjeux du transhumanisme. Et c'est l'occasion pour finir de remercier finalement, parce qu'on a peut-être pas fait toujours, tous ceux qui depuis le démarrage du MOOC, ont comme ça, posté sur le forum ou sur les réseaux sociaux du MOOC, des liens à une multitude de documents, souvent passionnants et contributifs donc, c'est l'occasion de les remercier! Voilà!
Merci Jean-Luc! On va maintenant présenter les invités. Alors, en commençant par Béa Arruebarrana, qui est doctorante en science de l'information et de la communication donc en INFOCOM à Paris 8 et vous faites une thèse sur la quantification de soi au sens large, est-ce que vous pouvez en quelques mots nous dire c'est quoi cette thèse et quels types d'études vous menez dans ce contexte?
Donc bonjour! Donc, le sujet de ma thèse, il y a deux lectures à avoir sur cette thèse, un méta niveau où je parle en fait, de l'identité augmentée, et pour résumer ça de façon très simple, je m'intéresse aux changements par les données. Comment on se transforme via les données aujourd'hui? Voilà... pour le faire très simplement! Et donc, les terrains d'études que j'ai, sont évidemment, le terrain du quantified self principalement parisien, mais j'ai aussi étudié des gens qui n'ont absolument rien à voir avec le quantified self et qui se mesure notamment sur une enquête avec une entreprise qui s'appelle IDS Santé, l'enquête s'appelait "My Santé Mobile peut-être que vous en avez entendu parler? Qui était une enquête à l'échelle nationale avec 1000 participants. Et donc des personnes donc, qui se mesuraient et on a pu à long terme un petit peu voir les effets qu'ils percevaient eux, sur leurs pratiques. Voilà!
Merci! Donc le quantified self, c'est ce qu'on appelle aussi le soi quantifié. (BA Oui, pardon) Alain Giffard, vous êtiez Directeur informatique de la BNF, conseiller technique pour les technologies et la société de l'information au Ministère de la culture et de la communication, et Président de la mission interministérielle pour l'accès public à Internet, vous êtes membre d'Ars Industrialis et vous travaillez sur les mutations de la lecture et la lecture comme technique de soi. Donc, de la même manière, rapidement, pourquoi est-ce que vous vous êtes intéressé à ces techniques de soi, comment s'est constitué cet intérêt?
Oui, dans un premier temps, je me suis intéressé à la... travaillant sur la lecture numérique à la question générale des techniques de soi telle qu'elle avait été introduite par Pierre Hadot au titre des exercices intellectuels puis, par Michel Foucault au titre de la culture de soi, des pratiques de soi, et des techniques de soi, et là, l'enjeu général était de comprendre la relation entre la lecture et la réflexion: le triangle lecture-mémoire-réflexion Et puis, en poursuivant ce travail sur la lecture numérique, on a vu arriver, j'ai vu arriver comme beaucoup d'autres récemment, ce thème de l'attention qui est effectivement central pour la lecture, puisque la lecture suppose de l'attention, la lecture numérique relève de différents types d'attention et d'autre part, dans nos sociétés, enfin dans notre civilisation, la lecture est le principal exercice pour apprendre à concentrer son attention, pour apprendre. Donc, d'un côté technique de soi et de l'autre côté, attention. Et de fait, maintenant, j'ai deux types de travaux, un livre que je fais, qui disons, historique sur la lecture comme technique de soi, donc j'essaye de voir comment elle a été construite dans l'histoire, parce qu'évidemment, c'est une construction et peut-être comment elle est interrogée maintenant. Et puis ensuite, le travail pour comprendre et analyser la lecture numérique.
Merci bien! Donc on va lancer la phase de questions. Les auditeurs et les participants dans la salle peuvent proposer leurs questions en utilisant soit l'outil que CocoNotes Live, donc qui permet d'annoter en live l'enregistrement de la vidéo et donc, ces prises de notes là, elles seront disponibles après en différé, en utilisant également Tweeter ou encore le Chat qui est associé au flux de diffusion à Live Stream. Donc je vais passer la parole à Jean-Luc.
Oui donc, on va aborder les questions directement du côté de l'attention pour commencer! Et c'est vrai, qu'Alain Giffard vient déjà d'ouvrir le débat! C'est vrai que depuis le début de ce MOOC, beaucoup exprime notamment sur le forum que l'on est sur-stimulé, qu'il y a une saturation d'infos, le terme d'infobésité a été proposé par certains et là, donc, Alain Giffard nous dit finalement, la lecture est l'outil privilégié ou la manière la plus habituelle et la plus efficace pour structurer une pensée un peu linéaire, si j'ai bien entendu, donc que nos participants, nos contributeurs disent "j'ai l'impression d'avoir une attention moins durable mais plus percutante", c'est vrai qu'il y a beaucoup de travaux qui montrent aussi que... si j'ai bien lu tout ça! ... que effectivement, nous aurions des capacités à être plus dans le multitâches, plus réactif, que même notre cerveau pré-frontal se serait adapté à cette vitesse, cette rapidité de réaction alors, est-ce que le prix à payer est très très élevé? Quelles sont nos capacités d'attention? Que peut-on en dire par rapport à ces évolutions? Voilà pour la première question!
Oui! Je vais essayer de cadrer de manière générale ce que la recherche scientifique a apportée sur cette question de l'attention par rapport aux technologies du numérique. Mais d'abord, dans un premier temps, en suivant cela, les indications qui ont été données par Jonathan Crary, je crois qu'il faut faire un retour en arrière, un siècle avant, Crary a bien montré comment, au tournant du dix-neuvième et du vingtième siècle, il y a un siècle, on avait vu à la fois l'arrivée du thème de l'attention comme thème scientifique, non seulement dans la discipline psychologique mais aussi, dans l'organisation même des laboratoires. Comme on avait vu le développement des technologies culturelles et médiatiques et des industries du même type: le cinéma etc... en tant que dispositif de captation de l'attention, une injonction générale notamment dans l'industrie, à prêter attention, à se concentrer, qui va finir par donner le taylorisme, l'organisation du travail à la chaîne, et, même les premiers efforts avec la publicité pour construire ce qu'on va appeler ensuite, l'économie de l'attention. Et en fait, on a un peu, avec le numérique, redécouvert cette question de l'attention sur laquelle les scientifiques avaient déjà travaillé et les artistes d'ailleurs! Au début du vingtième siècle. Il suffit de donner un exemple, chez les scientifiques, deux images, le savant Cosinus, bon, vous êtes probablement trop jeunes pour connaître le savant Cosinus, mais c'était une bande dessinée, un savant qui se lavait le pied droit, puis le pied gauche, puis le pied droit, puis le pied gauche, et il faisait en même temps des équations arithmétiques. Et, il était à la fois concentré et distrait. Tournesol dans Tintin! Mais ce qui est le plus... ce qui est très connu, ce sont "Les Temps modernes" de Charlot, la séquence où on voit qu'à force de se concentrer sur le travail à la chaîne, Charlot disjoncte quoi! Il finit par être complètement distrait. Alors, dans la période plus récente, et sans entrer dans le détail, si on en vient maintenant à ce qu'on a appellé les NTIC. Il y a un moment qui est très important, c'est la contribution de Herbert Simon, qui est un peu à l'origine de ce qu'on va appeler ensuite l'économie de l'attention. Le contexte, je le donne rapidement parce qu'il fixe justement les idées, on est à la fin de la guerre du Vietnam, les Américains sont en train de perdre la guerre du Vietnam, Simon est quelqu'un de très connu, c'est un intellectuel très influent, je vais pas détailler! Et ,le gouvernement américain, Johnson, convoque différents experts pour leur dire: "qu'est-ce qui se passe? Pourquoi est-ce..." C'est pas pourquoi: "est-ce qu'on perd?" c'est pourquoi: "est-ce qu'on a perdu? Comprenons pour ne pas continuer à perdre!". Et ,une des thèses qui est très répandue, c'est: "on a manqué d'informations sur... la force de l'ennemi, le soutien ou pas dans la population etc... et Simon arrive et dit, c'était pas du tout un problème d'information, c'était un problème d'attention. Or, Simon est informaticien, entre autres... Il est informaticien, il est économiste, il est aussi administrateur. Et, il va poser cette relation d'exclusion, tout à fait curieuse pour les gens de l'époque, entre l'attention et l'information. Pour retenir cette notion de Simon, il compare l'attention et l'information à des lapins et des carottes. Si il y a des carottes, c'est qu'il n'y a pas de lapins dans le coin, si il y a des lapins, il y aura plus de carottes. Et les carottes sont l'information et les lapins l'attention ou le contraire! C'est, donc, l'idée n'est pas que l'information est un moyen de l'attention, l'idée, c'est que les deux choses sont en quelque sorte, contradictoires. Et ce qui est intéressant, c'est que dès ce premier texte, Simon, qui connaît bien les problèmes, puisqu'il est informaticien, dit: c'est pas... n'allez pas chercher du côté des banques de données! Parce que les banques de données qui sont la technologie de l'époque, vous aurez toujours encore plus d'informations! Donc, vous devez travailler sur les dispositifs attentionnels. Alors, récemment, je vais... je dresse un tableau très vite! Ce qui a donné un éclairage à toute cette question, en particulier au grand public, c'est le travail de Nicolas Carr, connu, "est-ce que Google rend idiot?" Carr pose un problème qui est: un lecteur qui est passé à la lecture numérique et qui se rend compte à un moment donné qu'il n'est pas capable de lire des textes d'un certain volume, qu'il a perdu les habitudes qu'il avait acquises à la lecture classique et notamment, les habitudes d'attention. Alors, ce livre a été un best-seller aux Etats-Unis, dans beaucoup de pays, ça a entraîné tout un débat au sein duquel la question de l'attention... il y a aussi un autre best-seller en Amérique, c'est: "Distracted" de Maggie Jackson, c'est un livre... ce n'est pas un livre de recherche... Et Carr non plus n'est pas un chercheur! Mais Jackson a... bon, c'est le livre qui fait peur aux mères de famille quoi! Les enfants sont distraits... Sur cette base là, nous avons des travaux de psychologues, notre collègue Bassino par exemple, qui a travaillé sur la lecture numérique ou Marianne Wolf qui a écrit un livre qui s'appelle: Proust et l'octopus", Proust et la pieuvre, qui ont mis... qui ont étudié le le numérique et notamment la lecture numérique en faisant ressortir des difficultés qui étaient de l'ordre, au minimum, parce que j'ai pas le temps d'entrer dans le détail là aujourd'hui! Mais, qui était au minimum, de l'ordre de la surcharge cognitive, en ce qui concernait la lecture numérique. Et donc, l'attention était en quelque sorte, distraite de la lecture du texte, pour, effectuer d'autres opérations, d'où, une difficulté à associer la lecture et la réflexion. Et puis ce travail des psychologues, à un moment donné, s'est mis à croiser le travail des économistes. Il y a un homme extrêmement important chez Google, c'est Hal Varian. Alors, tout le monde connaît les fondateurs, Paige, Bring, tout le monde connaît le directeur, j'ai oublié son nom! Et puis tout le monde connaît Kurzweil, la singularité. Y'en a encore un qui est très important, c'est Hal Varian. Varian a été économiste en chef de Google, et il a fait un travail fondamental sur ce qu'on appelle l'économie biface ou l'économie plate-forme, qui est la forme réelle, concrète, d'économie de l'attention, c'est-à-dire, ce système qui permet à Google de proposer des informations ou des dispositifs attentionnels gratuitement au public et à revendre les données qu'il obtient comme ça, il ont, pour simplifier, la publicité! Donc ça, c'est modélisé! Ce que je dis là, c'est extrêmement simple! Varian lui, est capable de calculer avec ses graphes, à quel prix on vend ceci, à quel prix on vend cela, quel est l'optimum etc...? Bon. Donc les économistes ont, en quelque sorte, à partir de l'économie biface, à partir l'économie de plate-forme, ont relancé cette notion d'économie de l'attention. Alors,on a un croisement entre les deux, c'est-à-dire que, moi, je suis assez... typiquement, mais je ne suis pas le seul! Quelqu'un comme Pasquinelli, Hypolito, Bernard Stiegler, j'ai noté qui d'autre aussi?... Bon, on est un peu sur ces notions de croisement entre l'un et l'autre, puisque les problèmes de manque d'attention dans la lecture, les problèmes d'une technologie qui ne permet pas de se concentrer dans la lecture, ne sont pas évidemment sans lien avec ce modèle économique de l'économie d'attention. Voilà, j'ai été très très vite! Mais je dirai encore, pour conclure, que, un théoricien important pour moi est Jonathan Crary que j'ai déjà évoqué au début. L'idée essentielle, c'est que l'industrialisation de l'attention, bien sûr, ça consiste à proposer des nouveaux moyens, mais en même temps, ça comprend une destruction des capacités attentionnelles. Alors, pour Crary, qui a écrit sur le capitalisme comme crise permanente de l'attention, nous sommes dans une situation de restructurations permanentes des dispositifs attentionnels. C'est comme ça qu'il comprend la révolution technique permanente dont le numérique est une étape. Et la crise de l'attention, c'est ça! D'où une débauche de capacités attentionnelles pour s'adapter à cette restructuration technologique permanente. L'autre aspect qui est très important, c'est que pour Crary, la distraction, c'est pas plus ou moins d'attention. L'attention et la distraction sont les deux pôles d'une même continuité. Et les dispositifs attentionnels eux-mêmes, produisent de la distraction. Bon. Donc ça, c'est quelque chose qui est fondamentalement différent des best-sellers, façon "Distracted" de Maggie Jackson dont je parlais tout à l'heure. Et j'ai proposé, moi, sur cette base, de comprendre les problèmes de l'attention dans la lecture numérique en distinguant une attention orientée texte qui était formée dans le cadre classique de la lecture de livres imprimés, et, une attention orientée médias, qui était nécessitée justement par le besoin, la nécessité de s'approprier ce changement technique permanent. Bon. Et c'est le conflit entre, j'interprète beaucoup de ces difficultés d'attention comme un résultat d'un conflit entre différentes attentions. Et pas comme trop de distractions ou pas assez d'attention. Et en l'espèce comme un conflit entre une attention orientée textes une attention orientée médias.
Une fois encore, plus de qualitatif que de quantitatif dans l'appréciation de ces... comme on l'a déjà souligné précédemment dans le MOOC.
Je vais juste rajouter quelque chose, juste un tout petit exemple par rapport à ce qui a été dit dans le quantified self justement, et parler d'un article qui est paru maintenant il y a bien quatre ans sur le quantified self, qui avait été réalisé par Anne-Sophie Farabot, que je n'écorche pas son nom, et donc, qui s'appelait "La mise en chiffres de soi" et justement, il portait un peu... Ce qui était très intéressant dans cet article, c'est qu'il mettait en relation les travaux d'Alain Desrosières qui est un statisticien qui a travaillé sur la quantification statistique, et donc, la mise en chiffres de soi portait vraiment quelque chose d'important sur le fait que, finalement, dans ces pratiques de quantification, il y a bien, de façon sous-jacente, une attention, une focalisation en permanence sur soi qui découle de ces habitudes qu'on a dans notre société avec tout ce qui a été développé, ce que Alain Desrosières explique très bien, c'est-à-dire, l'argument statistique, comment nous sommes dans une société de chiffres, de statistiques, et comment nous portons notre attention vers le chiffre et que donc, ces dispositifs amplifient cette focalisation et cette attention à un moment donné sur soi via les chiffres. Voilà!
Merci! Donc on a déjà entamé la deuxième partie avec le quantified self, je pense qu'on en reparlera! Donc, la deuxième question portait sur le fait qu'il était probable que le rapport au temps était impacté par les technologies numériques et donc qu'est-ce que vous avez à dire à ça? Dans quelle mesure il y a un impact?
Sur cette question, je vais me contenter de reprendre la contribution de Bernard Stiegler dans son grand travail sur la technique et le temps parce que je crois qu'elle est décisive par rapport à ça. Stiegler s'appuie sur Husserl. C'est un travail donc, de philosophie. Husserl avait distingué, travaillant sur le temps et sur la mémoire, avait distingué les rétentions, donc les rétentions, ce sont les souvenirs... les souvenirs que nous avons. Mais, c'est pas simplement les souvenirs dans le sens des photographies du passé, c'est aussi les souvenirs que notre corps peut avoir. Bon. Notre corps, nous essayons de synchroniser des temporalités différentes de notre corps, bientôt, vous allez avoir un conflit entre le temps de vos facultés rationnelles comme on aurait dit au 18 ème siècle, et puis celle de vos facultés digestives. Le haut va dire: "je continue à suivre"et puis le milieu va dire: je commence à avoir faim" donc on a des rétentions. Le corps se souvient des choses et puis on synchronise. ça, ce sont les rétentions. Et puis il y a les les protentions. L'attention, c'est une attente. Pour qu'il y ait attention, il y a attente, il y a attendre, c'est-à-dire, tension vers quelque chose, c'est-à-dire désir, c'est-à-dire "je veux quelque chose". Lorsque je dis j'ai faim", je dis deux choses à la fois. Je dis que mon corps se souvient qu'il a besoin de quelque chose et je me tends vers la salle de restaurant ou ce que je veux manger. Et Bernard Stiegler a ajouté à ces deux éléments qui avaient été systématisé, théorisé par Husserl, un troisième qu'il a appelé les rétentions tertiaires, c'est-à-dire, la relation que l'homme, individuellement et socialement, parce que les rétentions et les protentions sont à la fois individuelles et sociales, a avec des dispositifs techniques mémoriels, qui sont extérieurs, qui peuvent être le livre, mais qui peuvent être toute sorte d'autres choses, bon, qui sont des moyens, des aides-mémoire, et ce sont précisément ces aides-mémoire qui, avec le numérique, ont été industrialisés. Bon. Et donc, c'est de cette manière que nous en arrivons à une situation dans laquelle le temps est en quelque sorte délégué à des dispositifs de mémoire qui sont extérieurs, qui sont machiniques par exemple, et nous vivons dans un monde dans lequel nous avons notre temps individuel, le temps de la société, le temps de l'ordinateur... le temps des ordinateurs est synchronisé mondialement mais c'est pas le même que le nôtre, le temps du Google Robot, c'est pas le même que le nôtre, et la question qui est posée, c'est de savoir si comme le dit Crary, nous habitons le temps dans l'impuissance, et c'est une formule extrêmement forte, c'est à-dire qu'en réalité nous nous voyons imposer le temps des machines, le temps de l'industrie, ou si nous sommes capables de définir un propre de ce temps industriel, de ce temps technique qui est relié avec notre propre temps de vie et d'individualité.
Du temps physique au temps humain subjectif, c'est un peu la question. Et je me disais, au-delà de ces délégations de temps, il y a aussi peut-être, la question d'un temps déstructuré à la mesure de la culture, de la disponibilité totale qui est sous entendue dans tout ça, parce que le dernier livre de Jonathan Crary: Le capitalisme à l'assaut du sommeil"'est aussi intitulé "24 7", 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, cette disponibilité totale, elle ouvre un temps illimité... Qu'est-ce qu'on peut en dire? Qu'est-ce que vous en diriez? Béa?
Alors, je rentrerai pas dans les questions théoriques puisque vous les avez soulevées et je vais dans le même sens que vous. C'est dire, de quel temps on parle déjà! Temps perçu, subjectif, ou comme on dit le temps des horloges. Ce que... J'ai envie d'attirer votre attention c'est sur le temps donc par le numérique, c'est-à-dire que, comme vous l'avez dit, il y a une externalisation de nos fonctions cognitives dans le numérique. Donc, une spatialisation déjà, de pas mal de nos pratiques dans le numérique, et des temporalités. Ce que je trouve intéressant c'est que, à partir du moment où c'est projeté dans le numérique, en termes de mémoire, c'est-à-dire, de passé, de présent, il y a ces phénomènes, en fait, d'anticipations qui sont possibles. Voilà. Donc je pense que dans certaines technologies, il y a vraiment ces phénomènes d'anticipation qui sont très importants et du coup on passe de la question à l'instrumentalisation de la technique à l'instrumentation de la technique. Voilà. Comment on instrumente la technique? Et dans mes recherches et beaucoup plus ce qui m'intéresse, c'est-à-dire, comment les outils peuvent nous servir pour changer, on va dire pour le dire simplement, positivement. Voilà.
Alors, peut-être qu'on peut passer au corps et c'est vrai que, la question de la place du corps dans tout ça, elle reste à réfléchir. Nos participants ont souvent eu du mal, je le disais tout à l'heure, à se poser la question, elle est pas facile! Dans quelle mesure notre corps est-il régulé, est-il un régulateur de plutôt de nos conduites, de nos manières de penser, et de quelle manière le rapport au numérique pourrait modifier cette place du corps?
Alors, la première chose que je répondrai, c'est sur le corps, c'est-à-dire, pareil, de quoi parle-t-on quand on parle du corps? Du point de vue info- communication, mais aussi des sciences cognitives, on ne dissocie pas le corps de l'esprit. On parle de cognition incarnée pour traduire que l'individu est toujours dans un couplage, on va dire structurel avec son environnement. Et si on considère cette position et que finalement on considère que l'individu corps cognition est un système, et bien finalement, grâce à l'information qui l'entoure, et bien, il est sans arrêt en train de se réguler, de fait. Déjà, je veux dire c'est même un processus qu'on peut mettre hors du numérique mais qui avec le numérique est forcément amplifié donc que la connection, on va dire permanente aux outils aujourd' hui notamment mobiles, fait qu'effectivement, il y a des régulations possibles. Est-ce qu'elles sont bonnes ou mauvaises, ça, c'est un autre débat. Mais il y a vraiment des régulations possibles.
Alors il y a une formule un peu exemplaire que je trouve qui dit que, par exemple, quand on travaille avec le numérique, compte tenu qu'on est effectivement submergé souvent de messages qui arrivent au fur et à mesure, c'est comme si il y avait 10 personnes qui rentraient dans votre bureau en même temps, qui parlaient toutes ensemble et qui attendaient toutes une réponse immédiate, là on mesure une conséquence éventuellement problématique de cette dérégulation corporelle, parce que dans la réalité, ça n'est pas vraiment possible quand les corps sont là.
Oui, sur l'aspect à distance, j'aurai un peu plus de mal à répondre j'avoue! Sur le fait, vous voulez dire, sur le fait, qu'il y ait vraiment des multiplicités.
Voilà, nos corps sinon, sont là, pour avoir besoin d'un peu d'espace vital et ne pas forcément tous s'exprimer en même temps, et, alors que sur sur la Toile, c'est toujours possible. Ce qui est une question! Mais en même temps, c'est vrai qu'on peut aussi dire qu'il y a quelque chose qui est protégé du corps dans certains cas, et qui permet des expressions qui ne seraient pas possibles autrement. Moi, j'aime bien la formule de Pascal Lardellier qui est... qui travaille à Dijon et qui a parlé (?phone) sentimental à propos de ce qui peut se passer sur les réseaux sociaux notamment, et pour les adolescents, on sait bien, ceux qui sont un peu en difficulté, qui n'osent pas et qui sont embarrassés de leur corps, de pouvoir entrer en relation sans que le corps soit en première ligne comme il l'est trop souvent dans nos sociétés, c'est facilitant donc voilà, c'est un peu à contrepoint... Je ne sais pas ce que vous pensez?
Oui, j'allais juste dire sur ça, alors évidemment, moi je suis sur des phénomènes quand même très particuliers, très précis... Donc, sur le... Ce qu'on peut plus dire, c'est qu'il y a effectivement, un partage à un moment donné dans les communautés...
Peut- être que tu peux donner quelques exemples d'études?
D'études? Alors là, je parle vraiment... as vu... Donc, très concrètement là, je parle de partage sur la communauté donc un dispositif qui s'appelle, je cite quelques marques puisque... Fitbit, donc c'est un podomètre, voilà, et derrière vous avez donc ce qu'on appelle un... enfin... vous avez un réseau social dédié, vraiment dédié de Fitbit, et, effectivement, il y a donc des partages de données entre utilisateurs, alors qui participent aussi à cette... qui est sur les modèles fondés sur les modèles de l'économie de l'attention, ils sont pas là par hasard non plus, mais qui aussi, fonctionnent plutôt bien et vont un peu dans le sens de ce que vous disiez sur l'échange du corps à corps quoi! où il y a quelque chose qui se passe dans le rapport de l'information du corps à l'autre. Comment j'intériorise un comportement de l'autre et comment l'autre à des attentes par rapport à mes données sur mon corps. Donc là, il y a bien des échanges qui se passent, d'une forme de corporéité du numérique, il y a bien quelque chose qui est diffusé, oui! Et régulier!
Ce qui nous permet d'enchaîner sur sur le quatrième grand pilier dont on parle cette semaine dans le MOOC qui est l'identité sociale et la perception de son identité et de ses rapports aux autres. Donc la question, c'était comment cette construction, représentation de soi par les réseaux sociaux, par le numérique au sens large, influe sur les comportements et quels sont les les risques associés?
Oui, le sujet d'actualité là dessus, c'est la question des réseaux sociaux et des jeunes. C'est souvent à travers la question du rapport entre les jeunes et les réseaux sociaux pourtant ce ne sont pas les seuls concernés par ce problème. Premier élément de réponse, c'est ce qu'on appelle l'approche pharmacologique, bon, c'est un mot compliqué pour dire que c'est au même endroit qu'on trouve le poison et le remède. C'est pas pour dire qu'il y a du bon et du mauvais dans tout! ça, c'est c'est pour dire que si on creuse le poison, qu'on creuse le remède, c'est que les risques des réseaux sociaux tiennent précisément à ce qui fait leur intérêt. ça n'est pas une externalité négative comme disent les économistes. L'addiction et l'exercice, la distraction et l'attention, ne sont pas d'un côté et de l'autre, il y a un continuum entre les deux. Et donc, ce qui est bon dans les réseaux sociaux en termes de construction de soi c'est aussi ce qui comporte des risques. C'est la philosophie si vous voulez de mon approche de ces questions. Et je vais essayer de l'éclairer presque avec une approche, je dirai, biographique ou personnelle. Les réseaux sociaux doivent leur succès je crois, chez les jeunes, non seulement au soutien, au développement de l'entre soi qui a souvent été noté par les sociologues, notamment sur Facebook, mais aussi parce qu'ils favorisent une certaine construction de soi en contrebalançant ce que Guy Debord a appelé la séparation, c'est-à-dire, l'isolement, c'est-à-dire, l'hyper individualisation. La vie d'un jeune bourgeois dans les années 50 ou dans les années 60 quand Debord écrivait son texte critique de la séparation, c'était une absence totale de plasticité des rapports sociaux ou des réseaux sociaux. On connaissait des jeunes en classe, et bien, on les voyait pas pendant le week-end. Il n' y avait pas de rapport entre la vie des parents et la vie de la classe, entre les jeunes qu'on voyait pendant les vacances et ceux qu'on voyait pendant l'année, tout était séparé! On se déplaçait, ceux qui avaient des pairs qui se déplaçaient, et bien, on se déplaçait! Les copains de tel endroit, on les voyait plus! On passait à d'autres copains! Et les réseaux sociaux ont permis à la sociabilité des jeunes, ont présenté pour les jeunes, cet intérêt tout à fait extraordinaire d'avoir une plasticité des contacts et des relations sociales. Et, par exemple, si le groupe où je suis ne s'intéresse pas à ce qui moi me fascine, ça ne m'empêche pas de continuer à être en rapport par ailleurs, avec des gens qui s'intéressent à ça. Bon. Ce qui est quand même quelque chose d'extraordinairement nouveau dans la psychologie d'un jeune et d'un adolescent et dans sa vie sociale. Bon. Mais c'est en même temps le problème, c'est que en même temps, ces réseaux sociaux qui permettent ça, qui permettent cette diminution de la séparation, ce sont en même temps eux, qui travaillent sur le maximum d'individualisation puisque ils collectent... Ils connectent et ils collectent des données sur la personne, sur l'individu et donc, les deux vont en même temps. Si je détaille, je prendrai d'abord une notion qui a été développée en particulier par notre collègue Laurence Allard, qui est intervenue je crois récemment, l'expressivisme. Bon, l'expressivisme en un sens, c'est bon! D'ailleurs c'est bon pour tout le monde, pas simplement pour les jeunes! Mais l'expressivisme, c'est quand même la possibilité en termes de libertés publiques, de voilà, de s'exprimer. Il y à 50 ans, la plupart des citoyens passaient toute leur vie sans jamais s'exprimer publiquement. On parlait mais on faisait une fois dans sa vie, on participait à un tract et puis c'était tout! Bon maintenant, on a cette liberté de s'exprimer. Mais en même temps, cette liberté, elle est une contrainte à s'exprimer, il faut que les jeunes sachent capables de... soient capables de faire des performances expressives, il y a une concurrence entre eux par rapport à ça et il y a une pression à s'exprimer qui est très très forte! Bon. Et d'autre part, en s'exprimant, ils alimentent la machine informationnelle, ils alimentent le marketing etc... Deuxièmement, le risque du formatage. Alors je ne vais aller très loin là dessus parce qu'il y a quelques années, j'avais développé une analyse de Skyblogs de ce point de vue là, ce qui m'a valu des bagarres avec Skyblog mais, c'est pas neutre. Bon. On est sur une plate-forme et il y a un formatage. On est formaté ça... nos collègues, par exemple, du laboratoire Paragraphe, ont étudié la manière dont les dispositifs d'écriture sur les blogs, ou sur Tweeter, ou sur Facebook poussaient les gens à un certain comportement, à faire les choses d'une certaine manière. Ajoutons que pour des plates-formes comme Skyblog par exemple, vous aviez en plus des modèles, comme la télévision en fait aussi mais, il y avait des modèles donc on suivait des modèles. C'est une espèce de contre-école en réalité! Et, coupés du reste du monde, parce qu'au début, il n'y avait pas le lien hypertextuel sur le reste du web, donc, le formatage. Donc ça, c'est un effet de l'industrialisation qui a souvent été souligné, y compris par moi. Je passe maintenant à autre chose qui est, les problèmes qui sont liés aux savoirs-lire. La lecture numérique, elle impose à la fois le savoir-lire classique et un nouveau savoir-lire qui est celui des technologies numériques. Alors dans les actions de formation que je fais de la lecture numérique, je suis étonné de l'ampleur, de la profondeur des difficultés, y compris chez des personnes qui sont des spécialistes du Web, à interpréter le contenu du Web, interpréter les messages. Bon. On a très souvent des divergences, des incompréhensions, plus que des divergences d'interprétation. Alors je vais prendre un exemple qui est immédiat, qui est sur lequel je travaille en ce moment, qui est la question de la propagande djihadiste, terroriste, et de la relation avec les jeunes qui vont sur ces sites. C'est pas la question du buzz, c'est la question du rapport avec, disons pour simplifier, avec la propagande. Et je crois que pour comprendre ça, parce que les journalistes nous disent du matin au soir que c'est de la logorrhée, nous disent que ce sont des arguments barbares, que ce sont... bon, voilà! On est sur un topos qui est le topos de l'étrangeté et ce que j'essaie de comprendre c'est pourquoi ça fonctionne? Et je crois qu'il y a un élément d'explication dans ce que notre collègue Bowtter(?) a appelé la remédiation. Comment ça fonctionne la remédiation? C'est un système dans lequel le numérique est quelque chose qui récupère des éléments dans les médias précédents, conserve la puissance, le tenant à ces éléments là, mais en fait les réorganise et les retourne éventuellement contre ces médias, enfin, de manière autonome par rapport à ces médias, et obtient par ce mouvement, une sorte de valeur d'authenticité a priori. Bon, c'est la théorie générale que je ne peux que... que je ne peux que résumer ici. Ce qui est clair je pense, parce qui m'apparaît, bon, disons l'hypothèse que je fais, c'est que pour les jeunes qui sont attirés par le Djihad terroriste, le régime attentionnel des masses médias, de la télévision, des journaux, de la radio c'est le règne du mensonge. La remédiation créée par les différents sites, que ce soit de... enfin, des deux principaux groupes terroristes, créent un effet de vérité en général, dont je dis très rapidement les éléments. Le premier élément, c'est l'élément d'accès immédiat opposé à ce qui apparaît à la télévision comme une suite d'éloignements par l'interposition des écrans, des perspectives etc... Une deuxième chose, c'est une rupture des codes dans le régime d'autorité des messages, des auteurs et des lecteurs, c'est-à-dire que sur ces sites, vous avez... on ne respecte plus les codes d'autorité des textes ou des messages qu'on a à la télévision. A la télévision, si on est la télévision pour la ménagère de 50 ans, on lui parle comme si elle était demeurée, je simplifie! Sur ces sites là, on ne se préoccupe pas de savoir si le type sait bien lire, si il a le bac ou si il a eu des difficultés, on lui propose des textes qui traitent par exemple, est-ce que la recherche de la vérité doit passer par la méthode de la liberté ou par la méthode de l'autorité?" et c'est cet effet de... Il se dégage de cette rupture des codes d'autorité, en fait, une sorte de fascination, un effet de vérité... JLP On va être obligé... Enfin le temps passe très vite... C'est vrai que cette extension, désolé! Mais c'est vrai que cette extension était importante parce qu'elle est en prise directe avec la réalité mais le temps passe vite, il ne nous reste finalement que quelques minutes... On va finir avec ce qui concerne objets connectés et santé" donc le quantified self dans le champ de la santé. On mesure bien que des bénéfices très importants sont annoncés, sont évidents, concernant notamment la gestion on va dire, des maladies les plus chroniques ou le patient pourra à la fois s'automesurer mais aussi être en lien avec ces soignants et là, il y a des choses qui vont être effectivement très riches. On parle de médecine 4P: personnalisée, prédictive, préventive, mais il y a aussi peut-être, un certain nombre de points d'inquiétude ou de choses à réfléchir en termes de limites de tout ça, qu'est-ce que vous pourriez nous en dire Béa, qui avez beaucoup travaillé sur ces questions?
Alors, la première chose qu'on peut dire aujourd'hui, plus sur les risques, parce vous avez parlé finalement des bénéfices, je vais y revenir un petit peu après sur les bénéfices. Mais sur les risques, il y a déjà toute la partie technique où aujourd'hui, beaucoup d'objets et notamment les applications, parce que finalement les objets très vite, ils vont faire... ils vont rentrer dans les processus de normalisation, de certification européenne, internationale, les applications pour le coup ne sont pas du tout certifiées aujourd'hui. Il y a un travail qui commence à être fait avec la CNIL et une agence de médecins: DMD Santé, voilà! Mais on est vraiment au début de ça et donc, quand on dit "certifier une application", c'est par exemple, "qu'est-ce qu'on mesure? Quelle unité de mesure on met derrière?" voilà, toutes ces questions là, parce que même si il y a des mesures qui sont normées, mesurer le taux du (?), c'est sûrement normé, quand on mesure un pas par exemple, aujourd'hui mesurer un pas, c'est une mesure qui a été inventée avec on va dire, avec les outils, voilà. Et qui, suivant tel ou tel podomètre, peut-être, l'unité du pas change. Donc tout ça, ça pose des questions, voilà. Donc, et ça comporte finalement des risques, sur le nombre de pas, on se dit que c'est peut-être un petit peu anodin mais c'est vraiment un exemple qui peut se retrouver ailleurs.
Surtout si c'est récupéré par les assurances comme c'est peut être le cas...
Tout à fait!
Si on a pas son nombre de pas, c'est qu'on ne fait pas ce qu'il faut pour sa santé, et que donc, on va avoir une assurance plus chère... Enfin, ça fait partie des nombreux enjeux...
Oui! Enfin bien que je mettrais un bémol sur les assurances notamment en France où aujourd'hui, on va plus comment dire, ces pratiques sont récupérées effectivement par les assurances mais peut-être pas quand même complètement dans le modèle américain, puisque on a... Là, je ne vais pas rentrer dans les trucs juridiques, des questions juridiques des assurances, mais on est sur un modèle qui s'appelle la mutualisation et si on procédait comme les États Unis, en fait, notre modèle français s'écroulerait complètement, donc les assureurs ont pas aujourd'hui intérêt à aller dans ce sens là, c'est-à-dire, vraiment prendre les données et traduire. Par contre, il y aura des traitements effectivement, il y aura des choses alors qui seront peut être pas faites de façon par un traitement direct des données mais, il y a des analyses qui seront faites et qui pourront vous encouragez à améliorer votre santé, avoir des meilleurs comportements. Oui! On va quand même aller vers là. Sur aussi les risques, là je vais parler d'un cas très précis, on en a parlé tout à l'heure sur l'anorexie, c'est à peu près le seul cas vraiment qui a été... parce q'il y a à peu près deux ans, donc on a vu dans le mouvement quantified self, émerger de la part d'anorexiques, des pratiques de mesure dans... On mesurait l'entre-jambes et l'idée, plus la mesure est importante, plus on est maigre etc... Donc la question s'est posée au niveau du quantified self quel rapport il y avait et là, je citerai une étude des recherches qui ont été faites par Antonio Casilli, chercheur en sciences sociales, qui a fait une énorme étude il y a deux ans, et qui étudiait l'anorexie et le numérique, notamment comment les communautés d'anorexiques interagissaient sur Internet, et pour faire très simple, ce qui était très intéressant dans cette étude, c'est que ressortait que finalement le numérique aussi, permettait de créer un entre soi, permettait de créer quelque chose de plus qui pouvait apporter...
De la solidarité! On en a parlé un tout petit peu dans le premier Webinaire. Mais c'est vrai que c'est un exemple qui est important parce qu'il n'y en a pas trop dans ce domaine. Mais sinon aussi bon, on décrit souvent des risques finalement que l'autosurveillance devienne quelque chose d'envahissant et que chez des sujets anxieux, il puisse y avoir comme un besoin de vérification permanent, autrement dit, dans ces questions de boucles réflexives où quelqu'un est finalement en ligne avec son propre fonctionnement, est-ce qu'il n'y a pas des questions de temporalités à réfléchir?
Alors...
Y compris chez les sportifs que vous avez étudié. dirai que c'est... Il manque cruellement de recherches sur le sujet! Voilà! C'est-à-dire que je ne peux que constater des choses aujourd'hui parce que j'ai donc une approche sociologique donc ça va se porter... c'est sur le comportement donc effectivement, on voit et c'est un peu ce que pointait un petit peu l'article de Anne-Sophie Farabot (pardon)...
Et aussi Thomas Fergus au Texas, qui a créé le terme de cybercondria pour parler de cette éventualité d'une relation hypocondriaque à soi -même à travers ces outils numériques. C'est une... en tout cas, c'est une vraie question! Moi, je pense aussi qu'on peut parler de surmoi numérique. En psychanalyse effectivement, le surmoi c'est cette instance intériorisée qui permet d'intégrer des interdits, des limites, mais qui parfois peut devenir envahissant, c'est comme si on avait délégué là peut-être aussi, à ces objets connectés, une sorte... une partie de notre surmoi et comment on va s'arranger avec ça? C'est une question en tout cas qui paraît ouverte personnellement!
Il y a aussi une autre question qui est soulevée qui est encore sans réponse, qui mériterait des études, c'est le rapport à l'objet. Là, je citerai Alain Prochiantz qui nous explique que... comme nous intériorisons un certain nombre de pratiques venant de l'autre, nous intériorisons sûrement des schémas de l'objet qui fait qu'à un moment donné, parce que ça, ça ressort vraiment beaucoup de mes études, c'est-à-dire, qu'on voit qu'il y a un attachement à l'objet et très souvent, le départ... Une grande période du début de la pratique est liée à ce manque de l'objet. Voilà! Ce rapport à l'objet! Voilà!
Le doudou numérique! C'est une vraie question qui nous ramène aussi aux questions de séparation qu'évoquait Alain Giffard tout à l'heure. Effectivement, il y a des... une plasticité à ce niveau là mais il y a aussi parfois une tyrannie du lien dans la manière dont ces objets numériques et pas seulement les réseaux sociaux, je pense aux smartphones, permettre par exemple à des enfants d'être en contact permanent avec leurs parents, qui veulent aussi toujours savoir ce qui se passe, et là, on parle de tyrannie du lien au sens où peut- être, elle vient un petit peu contrecarrer les processus d'individuation. Ce sont des questions qui sont liées à la place de ces objets dans nos relations humaines.
Ok. On va bientôt passer aux questions du public. Certaines questions seront traitées je pense dans le bonus. Peut être qu'on peut terminer cette première partie de questions en évoquant le mouvement transhumanisme... transhumaniste, (pardon), les objets connectés et le fait que peut-être, il y a une accélération dans ce mouvement ou une... peut être que certains commencent à voir ce mouvement... la réalisation du transhumanisme, commence à se mettre en place. Donc, peut-être qu'Alain, vous avez des choses à dire là-dessus?
Oui! Là, tu mets en relation trois choses qui sont la quantification, la culture de soi et le transhumanisme. La culture de soi d'après Foucault, c'est le soin de soi-même, de son esprit avec des pratiques, des techniques dont des pratiques et des techniques qui s'appuient sur, éventuellement sur la mesure de soi. Alors le quantified self, ça renvoie à la mesure de soi, c'est l'image de soi travaillée par un algorithme. C'est en fait la réflexion du soi relayée par une réflexion sur soi, c'est ça en gros, le fonctionnement! Bon. Alors, le problème c'est que le quantified self, ça va bien au-delà! Puisque c'est en même temps quelque chose qui est quasiment un mouvement social. Kevin Kelly qui est à l'origine de ça et presque à la tête de... c'est un mouvement d'ailleurs! ça se présente comme ça, les gens qui viennent faire des conférences de quantified self...
C'est un mouvement californien...
Un mouvement californien... C'est quand même quelque chose qui n'est pas à des années lumières disons de la scientologie si on veut être un petit peu... bon, un petit peu rapide quoi! Bon! Donc d'un côté, on a ce type de rapports entre disons, un quantified self et puis bon... Donc il y a avec Kelly, un certain mouvement du quantified self vers disons, une forme particulière de transhumanisme . Le quantified self c'est un peu l'école rivale du développement personnel. Aux Etats-Unis c'est ça! En France, les rayons de développement personnel grignotent la philosophie, aux Etats-Unis, le quantified self grignote le développement personnel, si on parle du contexte intellectuel en général. Alors, le transhumanisme, c'est assez différent! Tu as fait un triangle avec les trois choses. Pour comprendre le transhumanisme, on pourrait reprendre la distinction que Ricoeur faisait quand on parle de techniques de soi, entre les deux mots anglais: le same, le pareil, le même et le self, technologies de soi de Foucault c'est traduit en anglais par "technology of the self". Et quand on parle de technologie de soi, on parle du self. Alors que le transhumanisme, c'est du domaine du same, c'est le même, c'est le clonage, c'est le pareil. Et le transhumanisme n'est pas du tout dans une logique de travail de soi sur soi et et de culture de soi.
Il y a aussi tout ce qui concerne la réalité virtuelle, les mondes virtuels, en ce moment... [...]
L'autre dimension c'est le... c'est la vie, oui, c'est effectivement la vie éternelle, c'est même ce qui se présente du côté du spatialisme, mais en réalité, l'issue du spécialisme... spatialisme, qui est en fait, le grand projet utopique du début du 19ème siècle, du début du vingtième siècle par exemple. C'est pas le début du 21ème siècle! Les travaux qu'on fait maintenant sur le spatialisme et sur les recherches d'immortalité, font ressortir une sorte de préhistoire du transhumanisme, quelque chose de parallèle à la question de l'attention. ça semble très nouveau et en fait c'est très vieux! C'est tout le vingtième siècle qui a été traversé par ça, mais l'immortalité des transhumanismes, c'est le same! C'est du clonage. C'est pas autre chose. Donc c'est carrément le contraire de la culture de soi. Si on pose la question comme ça!
Le soi disparaît d'une certaine manière. La technique de départ de la technique de soi, c'est le miroir. Bon, voilà. C'est le miroir. Mais le miroir réflexion de soi doit permettre de faire un travail là-dessus, et, tout le monde sait et en particulier les psychiatres et les psychanalystes, mais, tout le monde sait que dans un miroir, on ne voit pas... on voit quelque chose qui est différent, optiquement qui est différent. Et donc le problème toujours, de la culture de soi, c'est de comprendre au départ que la réflexion de soi elle est biaisée techniquement, et de réfléchir sur ce biais technique, c'est précisément ce qui n'est pas fait. La technique, elle n'est pas pensée par les transhumanistes.
Je vais juste rajouter un petit mot! Sur le transhumanisme et le quantified self. Même si je suis tout à fait d'accord avec Alain Giffard, c'est vrai que voilà, le quantified self, il y a bien avec Kevin Kelly, une tendance vers le transhumanisme mais concrètement après sur le terrain, ce qu'on peut rencontrer, parce qu'il y a des réunions au niveau du quantified self qu'on appelle limit-up notamment donc en Europe, c'est vraiment des expériences d'utilisateurs qui viennent, c' est-à-dire que ce sont vraiment des personnes qui expérimentent des choses d'eux-mêmes et qui viennent en parler. Ce qu'on ne retrouve pas dans le transhumanisme. Donc il y a vraiment un côté idéologique qui est quand même assez loin de la pratique. Et un des apports donc du quantified self aussi que j'aimerais vraiment souligner, par rapport à la notion de self (voilà excusez moi) c'est là où je voulais en venir! C'est qu'on voit souvent la notion de self comme quelque chose qui fonctionne de soi à soi, or, là je vous renvoie à la psychologie sociale et à la notion développée par Mead, où le self et le rapport de soi à l'autre dans le self, il y a le Je mais aussi le Moi qui va vers l'autre et donc, ce mouvement réflexif qui vient aussi de l'autre. Foucault est allé aussi à un moment donné dans ce sens là, en expliquant que dans les pratiques de soi, dans les techniques de soi, il y avait aussi un rapport à l'autre. Voilà. Donc le miroir... il y a le miroir mais le miroir qui peut passer par l'autre. Voilà. Donc l'intériorisation, l'autrui généralisé. Et donc... Et je dis tout ça parce qu'en fait, dans le quantified self, il y a une analyse qui est très intéressante et qui est venue un peu plus tardive, j'en parle pas mal dans mes recherches, c'est qu'on se mesure soi-même mais on ne se mesure pas seul. Le rapport qu'il y a derrière avec les réseaux sociaux, le partage des données, là il y a quelque chose qui se passe dans l'acte de mesures, qui est très riche et donc je pense que l'apport assez important dans le quantified self c'est la mise en relation avec l'autre dans la mesure où je ne me mesure pas seule, qui permet de valider ce qu'on fait, qui permet de comparer et là je pense... je prends la notion de comparaison qui malheureusement est très souvent vue dans la société comme quelque chose de négatif, c'est-à-dire se comparer aux autres, alors qu'en psychologie sociale, on sait que ça fait partie des fondements de la construction de ce soi, de soi de se comparer à l'autre. Voilà!
Merci! Donc on va... on a un certain nombre de questions sur Internet. Pas mal finalement sur la quantification de soi. Il y a... Je pense que tu as déjà plus ou moins répondu mais je repose la question: "de tout temps, l'homme a... c'est Marcouc sur CocoNotes, " de tout temps, l'homme a construit les objets comme prolongement de soi, le fait que ces objets soient connectés renvoient des infos, changent-ils vraiment quelque chose? Alors, t'as évoqué les réseaux sociaux mais est-ce qu'il y a d'autres éléments de réponse là-dessus? On a toujours eu des , cette fois ci ils sont connectés, qu'est ce que ça change vraiment?
Oui ce que ça change, c'est le flux d'information de données qu'il draine. Voilà. Par exemple, vous êtes connecté avec un objet qui produit de la donnée de vous, vous produisez de la donnée avec cet objet via des capteurs, qui sont captées et, et elles sont traitées par ces outils et réflexivement, ça réagit sur vous, ça vous transforme. Donc en fait, d'ailleurs moi je fais partie de ces gens, je pense que l'enjeu n'est pas tellement sur les objets, il est bien sur l'information, sur la donnée.
D'accord mais avec mon carnet, je pouvais aussi avoir ce genre de choses. Je construis mon carnet...
Sauf que là, excusez-moi! Donc là, la connexion est permanente voilà! Elle est permanente et donc elle génère quoi? Alors ça renvoie un peu à ce qu'on a parlé sur la mémoire, elle génère une historisation de ces données. Donc quand j'ai un... Je vais prendre un exemple très simple, on a tous des enfants, on a tous fait une courbe de poids d'un l'enfant et ce qui nous permet de voir si notre enfant (parce que je vais pas parler d'adulte) notre enfant a grandi ou a grossi, c'est bien parce qu'on a une mesure de référence, avant, une historisation des mesures qui nous permet d'avoir une évolution donc de comprendre un comportement général. Voilà! Donc les deux différences sont pour moi sur la connection et l'historisation des données.
Il y une difficulté particulière que je pense très intéressante avec le quantified self, c'est qu'un des arguments souvent avancé par ses promoteurs, consiste à dire que c'est pas tellement les données qu'on voulait quantifier par les objets connectés qui se révèlent intéressantes, mais c'est toutes celles auxquelles on n'avait pas pensé. C'est comme une sorte de tableau de bord qui viendrait s'implémenter avec des cases qu'on aurait pas prévues avant. Alors, c'est à la fois très intéressant et en même temps méthodologiquement, c'est assez terrifiant aussi! Parce qu'on voit pas très bien ce qui cadre la chose, on voit pas très bien où est le... pour le coup là, où est le projet? On voit pas très bien où c'est bordé et on sait pas très bien où est le processus expérimental. Moi, c'est une des difficultés que j'ai avec ça, d'autant plus que, sans vouloir me distinguer de ce que Béa disait sur les les pratiques dans les séances de quantified self, ces pratiques, ce sont quand même des choses qui ressortissent au témoignage. C'est pas rien de témoigner! Dans les séances de l'association quantified self, alors vous trouvez sur Internet, les gens viennent...Ils ne viennent pas pour présenter des pratiques et pour les analyser, ils viennent pour témoigner, logiquement c'est le format évidemment, on peut faire autre chose! On peut parler du quantified self sur une autre base. Mais, le témoignage est quand même quelque chose, ça nécessite une petite étude anthropologique et historique, d'être dans un mouvement technique où on témoigne, je veux juste souligner que c'est la première fois dans l'histoire des nouvelles techniques et donc les premières fois, il faut toujours les noter! C'est la première fois qu'on a ça! C'est la première fois que des pratiques instrumentées sont présentées comme faisant l'objet de témoignage.
Alors, deux questions qu'on peut peut-être relier et qui sont anonymes en fait. On a pas l'origine, en lien avec la phase 3 du MOOC et la vie de Léa donc tous ces objets connectés. C'est le cahier "innovation et perspectives" numéro deux de la CNIL que, vraiment, j'invite à lire parce qu'il est vraiment très très bien fait! Donc en lien avec la phase 3 du MOOC qui est la vie de Léa avec tous ses objets connectés, est-ce qu'on ne va pas se retrouver avec des sujets clones comme dans le roman de 1984 où le film "Bienvenue à Gataca", moi je pensais aussi au "Cinquième élément" de Luc Besson mais la deuxième question qui peut aller avec: la quantification de soi n'est elle pas aussi l'introduction des méthodes de l'entreprise appliquées à soi, un contrôle de gestion appliqué à l'individu? Qu'est-ce que ça vous inspire à tous les deux? Le contrôle de gestion appliqué à l'individu?
Donc sur... Je suis assez d'accord sur la question... Oui, aujourd'hui, c'est peut-être un des enjeux, d'ailleurs, moi, ma ma prétention dans la recherche, c'est peut-être aussi de travailler à concevoir des outils qui ne répondent pas spécialement à des logiques socio-économiques, mais qui soient conçus, modélisés à partir de réflexion sociale, humaine. Donc pour répondre à la question, oui, aujourd'hui, les outils sont quand même très orientés socio économiquement... excusez moi... (je ne me rappelle plus la question)
ça parlait de... Donc c'était Yves qui avait posé cette question. que je voulais dire! Excusez-moi! C'est que ça revient avec les notions aussi de Big Data parce que ce sont les mêmes logiques et beaucoup de personnes aujourd'hui, justement, finalement, ce qu'on en train d'appliquer, ça rejoint tout à fait ce que vous dites, les techniques du Big Data... En fait, le quantified self et un Big Data personnel, voilà! On va faire à peu près les mêmes choses.
Oui! On peut parler d'une logique économique en général qui prévaudrait mais, par ailleurs, la gestion de soi est un domaine des quantified self. C'est-à-dire que le quantified self a différents domaines d'application: il y a la santé, il y a le fitness et je dirai que le domaine que personnellement je considère comme assez bidon, c'est le domaine de la gestion de soi. Bon. Et qu'est ce que c'est que la gestion de soi? C'est quelque chose qui va par exemple, vous permettre de mesurer combien de fois vous avez réalisé une tâche de plus de huit minutes! Bon. Quelque chose qui va vous permettre et vous allez après pouvoir faire des petits tableaux, vous allez vous rendre compte, moi, j'ai vu un témoignage sur Internet, je ne l'ai pas vu réellement, mais d'un gars qui se suit depuis trois ans et qui est content parce que, j'en avais déjà parlé d'ailleurs, et qui est très content parce qu'il est passé, je ne sais plus quoi, c'est de 12 fois par jour à... bon! Et à mon avis, il a encore une assez forte marge de progression d'après ce que j'ai cru comprendre! Mais donc, la gestion de soi, c'est pas simplement la philosophie générale, c'est aussi dans une perspective plus étroite, un domaine précis du quantified self qu'on peut retrouver très concrètement dans le cadre du travail et là je crois qu'il y a de grosses difficultés.
On mesure quand même la dimension d'obsessions qui est prise là-dedans et qu'on retrouve aussi dans les journaux intimes depuis très très longtemps, et on peut se demander effectivement si c'est très différent?
[...] J'ai vu un article qui parlait justement du quantified self et la mesure du moral, voilà! Avec cette injonction de, être toujours de bonne humeur avec, voilà! Donc effectivement, je pense qu'il y a tout un tas de...
[...] On est dans ces questions-là!
Alors, une question de Marcouc encore: "est-ce que l'autosurveillance n'est pas consciemment ou non ce que la majorité des gens recherchent?", en citant la multiplication des caméras embarquées, Go Pro, smartphones et l'engouement justement pour ces objets connectés? Est-ce que c'est ce que les gens recherchent, attendent... est-ce que c'est pas?
On est dans une culture de l'image, je veux dire, de toute façon! Donc qu'est ce que... il y a cette... J'avoue que oui... Je vais passer la main!
Les gens le recherchent, pour eux, mais ils ne veulent pas que autres le fassent en les embarquant dans leur affaire. Donc vous avez, récemment dans le domaine: l'échec du lifelogging, qui est derrière le quantified self. En fait, Kevin Kelly, il a réorienté...
Peut-être expliquer ce que c'est.
Le lifelogging, c'était un système où à partir d'une caméra, des gens se baladaient, et ils enregistraient tous les moments de leur vie. Le lifelogging a buté sur des questions qui étaient des questions de technologie, parce qu'une fois que vous avez enregistré toute votre vie, qu'est-ce que vous faites de ces enregistrements? Il vous faut des algorithmes qu'ont pas été conçus par des minus, il faut quand même qu'ils soient capables d'organiser tout ça! Et donc, ça n'a pas marché! Et Kelly, qui s'était lancé dans le lifelogging a un peu trouvé comme porte de sortie le quantified self qui était... techniquement, c'est une deuxième génération le quantified self, c'est très intéressant les phénomènes de technologie de deuxième génération parce que on voit ce qui s'est passé dans l'évolution des projets. Et on en parlait tout à l'heure, vous avez un autre exemple qui vient d'être suspendu, c'est l'histoire des Google Glass de Google donc! Et bon, ça c'est un échec! ça va être rhabillé de différentes manières mais c'est un échec! On va dire que ça va redémarrer comme le lifelogging a redémarré avec le quantified self. Donc il y a des obstacles, et ces obstacles tiennent au fait qu'on ne peut pas être dans des technologies ayant trait au soi qui soient strictement individuelle et qui ignore totalement les autres. C'est quelque chose de totalement impossible! Avec des blocages qui sont extrêmement intéressants sur le plan anthropologique: les gens n'aiment pas être filmés mais ils aiment encore moins que leurs voix soient enregistrées. Donc il y a des blocages là, et c'est pas...Il y a à faire du travail qui n'est pas le genre de travail qu'on fait dans l'Université de la singularité de Kurzweil parce que dans cette université là, vous avez des techniciens, vous avez des designers, vous avez des neurologues et des cognitivistes mais vous n'avez pas toutes sortes d'autres disciplines qui ont des choses à dire là dessus.
Enfin moi, je ne peux pas m'empêcher de mettre en lien cette question là, sur le besoin d'autosurveillance qui serait traduit par tous ces objets connectés avec, ce que je disais tout à l'heure, c'est-à-dire, la manière de la disparition de la névrose comme référence d'un point de vue psychopathologie, et là où il y a plus ce surmoi intériorisé, il y aurait comme ce besoin de trouver des équivalents un peu extériorisés. Une autre question qui va peut-être être la dernière compte tenu du temps qui passe, mais c'est pour revenir sur cette relation du quantified self avec le développement personnel, la question est la suivante: le soi quantifié concurrent du développement personnel, est-ce qu'ils ne devraient pas plutôt être vus comme complémentaires?
Et là, on peut peut-être évoquer justement, des applications de quantified self qui sont orientées développement personnel, autour par exemple, des technologies calmes, autour de choses d'attention, d'apprentissage de l'attention... Il y a un certain... On pourrait aussi parler de (?), de l'alpha cult des années 70.
J'ai connu effectivement dans les années 70, le culte de l'alpha qui était... ça fait quand même plus de 40 ans! Et effectivement, ça avait eu un succès considérable! C'est tombé parce que je pense que les appareillages étaient trop complexes aussi, mais ça revient avec le bio-feedback, le neuro-feedback, en lien avec la relaxation, les techniques de relaxation, est-ce qu'il y a une perspective de ce côté là? Je pense que c'est un peu le sens de la question qui était posée!
Moi, je voulais juste dire que, oui! II y a une tendance à aller plus sur le développement personnel, mais je parle vraiment au niveau applicatif, il y a une tendance mais aujourd'hui j'ai pas l'impression que c'est là où on va le plus. Je pense sur les applications!
Alors vers quoi on va le plus?
Vraiment plus sur des mesures physiques. On va vers du... où le capteur va devenir de plus en plus transparent, enfin voilà, sous forme de patch... Il y a vraiment une grande tendance qui va, après, je ne dis pas! Il peut y avoir des choses qui vont être beaucoup plus liées à la gestion de soi en général, mais je pense qu'il y a encore des développements, il y a encore des choses à amener dans ce sens là.
Alors, ça me fait aussi penser à... on a organisé une journée sur les technologies réflexives le 24 juin où vous avez participé et il y avait (?) qui avait parlé de son utilisation de (?) qui est un outil qui va vous prévenir quand vous n'avez pas le dos droit, et mais, qui est un outil temporaire au sens où on apprend d'une certaine manière à avoir le dos droit et après, on peut l'abandonner. Et donc, pour revenir sur ces questions de développement personnel, il y a peut-être un apprentissage, une nouvelle perception du corps à reconstruire parce qu'on l'a oublié d'une manière ou d'une autre et puis après, ça peut partir tout seul sans avoir cet objet.
Oui! Tout à fait! Je pense qu'il y a vraiment cette démarche, on peut vraiment dire que le quantified self, c'est aussi une démarche d'apprentissage, clairement! Il y a vraiment et je dis ça parce que justement, il y a beaucoup d'études, enfin beaucoup, quelques études qui ont montré que les dispositifs et c'est souvent l'argument pour dire que finalement ça sert à rien! Que les dispositifs étaient utilisés que quelques mois. C'est-à-dire qu'on se mesure mais très vite! L'utilisateur en a marre de se mesurer et voilà! Et donc, beaucoup de personnes ont répondu à cette question en disant "voilà, il y a aussi...", une fois que l'apprentissage est fait, finalement, est-ce qu'on a besoin encore de l'objet? Peut-être pas! Voilà!
C'est juste un mot pour dire que nous-mêmes, comme universitaires, comme scientifiques etc... on a tendance à considérer ces mots comme quantified self, comme développement personnel etc... un peu comme des des catégories d'objets, comme des domaines où se développent des pratiques. Bon. Il faut pas oublier que ce sont aussi des écoles, des courants, des groupes d'hommes organisés, c'est-à-dire ça ressemble à des partis, ça ressemble à des associations, ça ressemble... c'est pas simplement une manière de faire les choses. Donc moi je te rejoins sur cet exemple que tu donnais sur... y a d'autres exemples d'ailleurs, positifs du quantified self, mais je ne crois pas que l'exemple que tu donnais sur le mal de dos soit stricto sensu, quelque chose qui est ressorti sous développement personne. Le développement personnel, c'est un courant qui est assez précis.
C'était une analogie, c'était pas par rapport à...
Oui, c'est ça! Mais quand je disais qu'aux États Unis le quantified self était en compétition avec le développement personnel, c'est parce qu'on a bien affaire à deux choses qui sont comparables. Le développement personnel, il est crée au début du... entre les deux guerres par (? Carnegie) qui ne s'appelait pas d'ailleurs (?Carnegie) je ne sais plus comment il s'appelait... s'il a pris le nom de Carnegie(?) parce que c'était un nom qui inspirait confiance aux États Unis et, c'est quand même quelque chose qui n'est pas si éloigné d'autres types d'écoles voire d'autres types de sectes. Et donc je pense qu'il faut pas oublier cette dimension socio-politique, elle est peut-être pas drôle, elle est peut être désagréable mais elle est quand même derrière ce type de... Il y a des groupes d'hommes aujourd'hui, qui se constituent pour un projet politique autour d'objets techniques. Et il faut, bien sûr, ces objets techniques peuvent être détournés, servir à autre chose, mais il faut pas oublier cet environnement politique et historique.
Alors donc, quand des millions de personnes ou des milliards de personnes font du quantified self, on va voir si c'est une secte qui a réussi ou pas quoi!
J'aimerais quand même citer l'étude qui a fait, pareil, une étude qui a deux ans maintenant du Pew Internet Research aux Etats-Unis, qui a fait une étude assez importante sur la mesure. Juste sur la mesure! Et il ressortait en fait, je trouve que c'est assez intéressant, et ressortait que, a peu près de 69% des Américains avaient des pratiques de mesures, on ne parlait pas de quantification, on parlait uniquement de mesures pour soi, ou pour quelqu'un de leur entourage. Voilà! Donc je pense vraiment que ce qui est intéressant, c'est vraiment de revenir à cette notion de mesure et voir que c'est quand même une notion... enfin, se mesurer, c'est quelque chose qui est très ancien, qu'on ne pratique pas là, depuis le numérique, et là, vraiment, le différentiel on va dire, qu'il y a aujourd'hui, c'est bien l'apport de cette connection permanente avec la mesure.
Se mesurer, ça fait référence à un autre alors que quantified self n'implique pas la référence à un autre, je pense! C'est une différence importante?
L'outil a été fabriqué par quelqu'un! toujours un autre dans l'outil et puis il y a, je le dis vraiment pour les personnes qui pratiquent beaucoup le quantified self, assidues, on va dire, il y a un autre, il y a un réseau social, il y a un partage des données, et qui fait partie d'ailleurs du processus, on sait très bien aujourd'hui que si vous ne partagez pas ce que vous faites, ça n'est pas validé. On est un tout petit peu en retard, on va conclure cette semaine. D'abord en vous remerciant tous les deux d'avoir bien voulu participer à ce webinaire. Aussi en rappelant que la semaine n'est pas terminée puisque la semaine se poursuit jusqu'à lundi. Nous en ferons une synthèse que nous espérons poster mardi et puis nous comptons bien que sur les forums, on continue à accumuler de la connaissance et et à la co-construire sur ces questions d'avant/après et puis de de soi quantifié. La semaine prochaine, on se retrouvera autour de la question de la possibilité de fabriquer l'addiction, qui est une grande question! Est-ce qu'on peut la fabriquer ou pas finalement? Et donc voilà, il nous reste à remercier tous les participants sur Internet et dans la salle et à vous donner rendez vous la semaine prochaine. Les vidéos seront en ligne dès cet après midi si on y arrive, sinon demain matin! Et puis il y aura sans doute une vidéo bonus comme toutes les semaines. Merci bien! Au revoir!