Bilan de la semaine

La semaine 4 du MOOC @ddict? avait pour objectif de réfléchir à la possibilité de fabriquer l’addiction, c’est-à-dire de construire de façon délibérée un produit addictogène qui induise une addiction chez son utilisateur.

La participation cette semaine a été équivalente à celle de la semaine dernière, on peut à nouveau noter que ceux qui ont contribué l’ont fait de façon personnelle et élaborée.

Le “nuage de mots” portait sur le “fabriquer l’addiction”. Le terme qui ressort tout particulièrement est celui de “manipulation” avec sa connotation négative sur son versant mental.

La première phase de la semaine visait à décrire le vécu lié à une relation forte à un produit numérique. Les produits choisis par les participants sont très variés : matériel connecté (téléphone, tablette, ordinateur) et applications associées ; connexion internet permanente ; applications spécifiques (jeux vidéo petit ou ambitieux, logiciel de trading et environnement informationnel très complexe associé, application de généalogie, etc.).

Un certain nombre de parallèles ont été faits avec la relation du fumeur invétéré à sa drogue : consultation de ses mails au saut du lit à l’image de la première cigarette, vérification de la charge de son téléphone comme de sa réserve de tabac.

La question d’une dépendance à un produit, ou d’une dépendance “à la connexion”, est venue à nouveau souligner les subtils entrecroisements et résonances entre participation de l’objet et de l’usager.

Ceci se manifeste dès l’avant de la conduite : anticipation du moment où il sera possible de jouer, de se connecter, tactiques pour créer ces temps de battements (ce “braconnage” des temps intersticiels dont parlait Laurence Allard lors de la semaine 2) ; envie de jouer à quelque chose auquel on a décidé de ne plus jouer ; voire énervement quand des conversations inintéressantes ont lieu IRL (In Real Life) alors qu’il y a sans doute mieux en ligne en même temps.

Pendant la conduite on retrouve l’immédiateté de l’effet, l’émotion de la sollicitation permanente (du SI de trading par exemple, qui a fait une entrée remarquée sur le forum cette semaine), la volonté de qualité, voire de perfection.

Après la conduite, plusieurs participants évoquent pour le cas des “casual games” un sentiment de “trop” associé à un certain écoeurement, qui incite éventuellement à ne pas y retourner.

Quelques-uns évoquent le développement de la relation à un produit dans sa complexité, par exemple :

Un autre participant explique que toutes ses utilisations abusives ont été stoppées par un “retour à la réalité” lié à la perception d’un d’excès, que ce soit les dépenses liées à l’abonnement internet, la prise de conscience de l’abus de publicités, etc.

Ces quelques exemples montrent que s’il est possible de retrouver des points communs entres les expériences de certains participants, les pratiques relatées n’en sont pas moins extrêmement variées. Par ailleurs, plusieurs participants insistent sur le côté positif de leur relation forte voire passionnée à certains produits, notamment parce que l’activité elle-même génère du plaisir, que l’on parle par exemple d’outils facilitant les relations sociales, la généalogie ou la création.

La description d’une expérience vécue peut être multiple, car “le sujet expérimentateur vit toujours, plus ou moins consciemment, une expérience mêlée d’affects et de raison : sensations, émotions, sentiments, conception intellectuelle, élaboration mentale, etc.” (Bzz)

La deuxième phase de la semaine s’attachait à définir les caractéristiques d’un objet participant à une relation forte.

Ont été mises en avant des caractéristiques générale positives liées à la rapidité, fluidité, qualité d’un produit, que cela concerne par exemple une connexion internet, un ordinateur, ou un outil de recherche d’information. Le côté pratique, intuitif, clair de logiciels, leur adaptabilité, la possibilité de les personnaliser sont également des critères importants facilitant l’appropriation d’un outil et la construction d’une relation forte. Pour ce qui concerne le matériel, le format ou l’autonomie, le confort d’utilisation physique sont mentionnés. La dimension de mode voire d’élitisme peut également jouer.

Quelques caractéristiques plus précises ont pu être soulignées, telles que la possibilité  d’interagir socialement tout en se cachant ou en empruntant des identités multiples ; la notion de “gratuité en apparence” ; ou encore le fait de se baser fortement sur les réseaux sociaux ou sur une communauté très active comme pour Minecraft, “exemple de création addictive non commerciale” dans laquelle “le drogué est aussi le dealer” pour un participant.

Peu de participants sont allé étudier une application qu’ils ne connaissaient pas. Un participant a cependant donné de son temps et testé candy crush pour la communauté ! Les caractéristiques les plus importantes du jeu portent à la fois sur les couleurs, les formes, les sons et les enchaînements rapides, le rappel de l’enfance par le côté sucré, la frustration, le déblocage en payant, etc. On peut mettre en relation ces éléments avec ceux décrits dans un épisode de South Park (épisode 6 de la saison 18 “Fremium isn’t free”) dans lequel Matt Stone et Trey Parker décrivent ce que sont les ressorts d’un jeu addictif s’appuyant notamment sur les mécanismes du conditionnement opérant décrit par Skinner.

La troisième phase de la semaine concernait le point de vue du designer, et en particulier ce qu’on entend par “’expérience utilisateur “(UX) en matière de conception de produits, où il s’agit de dépasser la simple utilité et la facilité d’utilisation de celui-ci, pour s’intéresser également à son identité, à son impact émotionnel, à son insertion dans la vie d’un utilisateur.

À la question principale de la semaine (Peut-on fabriquer l’addiction au numérique ?) la tendance parmi les quelques réponses consiste à considérer que certes on peut encourager une addiction en fabriquant un produit adapté, mais celle-ci ne sera que temporaire, car un produit chasse l’autre, et que chacun a très souvent l’occasion de reprendre sa liberté. L’addiction au numérique serait donc plutôt temporaire que durable, ce qui est cohérent avec ce qui a été dit dans le séminaire, ou une notion d’ “addiction à l’innovation” a été évoquée par nos invités Samuel Coavoux et Laurent Auneau.

Enfin, le défi de la semaine portait sur la conception d’une application la plus addictive possible. Une proposition discutée longuement est celle d’un produit qui fournirait un retour en temps réel et “objectivable” du résultat de ses actions sur les autres, en utilisant par exemple des capteurs. Ceci évoque la place des sondages (notamment en politique), mais aussi simplement facebook et ses likes. Une autre proposition est celle d’une “addiction positive” pour une application qui permettrait de réaliser des missions de réalisation personnelle et sociale, en fournissant des récompenses pour des missions utiles, permettant à une partie de la population un peu en marge des secteurs d’activité d’y reprendre pied sans se sentir contrainte de travailler. Un dernier exemple proposé serait de créer un produit qui permette de réaliser une opération indispensable, sans aucune alternative, par exemple taper sur une touche dans une application pour déclencher mécanisme physique de sommeil !

Nous remercions l’ensemble des participants, la semaine 4 sur “la fabrique de l’addiction” reste bien entendu ouverte, et les discussions peuvent y continuer !

3 février 2015